Non, ce n’est pas le cri d’angoisse du dirigeant d’entreprise en mal de commandes (merci pour moi, pour le moment ça va !), ni le cri d’alarme des salariés dont beaucoup se demandent aujourd’hui de quoi demain sera fait …
Simplement ici une question que j’entends trop rarement se poser à mon gout dans l’univers de l’immobilier professionnel, alors que sa transformation a des conséquences majeures sur la manière de penser et produire des lieux de travail.
Quand le travail s’évapore.
Donc le travail fout le camp ma bonne dame, tous les indicateurs et les journaux nous le disent.
Tout d’abord, du centre, le monde occidental pour faire simple, il s’est projeté vers toutes les périphéries. Dans un premier temps, il s’est délocalisé à tour de bras, les usines et les ouvriers quoi, ce qui a bien fait rire ceux qui étaient autour de moi, vu qu’on travaillait tous de la tête. On y a même prêté nos neurones, à coup de gains de productivité et de rationalisation. Et puis un jour, on a fini par comprendre que l’Inde « produisait » chaque année autant d’ingénieurs qu’il y en avait en activité en France : solidarité tardive avec le monde ouvrier, camarade. Et les cerveaux se sont délocalisés à leur tour …
Pour se rassurer encore un peu, on s’est accroché au concept des métiers « non-délocalisables » : le transport, c’est non-délocalisable ! (mais on peut désormais avoir des échanges super sympas avec les chauffeurs de toute l’Europe de l’Est qui font leurs dinettes sur les aires d’autoroutes du pays), la restauration, c’est non délocalisable ! (ce qui doit vouloir dire que les méga-restaurants asiatiques capables de produire des centaines de couverts à l’aide d’une poignée de serveurs alimentant les buffets de nourriture produite à l’autre bout du monde, ce n’est pas de la restauration), le bâtiment, la maintenance, c’est non-délocalisable, pas plus que les médecins ou les dentistes (et que nos grand-mères arrêtent d’user du tourisme sanitaire au Maroc pendant que j’écris). Si j’étais ma coiffeuse, je me demanderais comment mon métier sera bientôt délocalisé lui aussi …
Bref, la cause était entendue, réserves de main d’œuvre universelle + gains de productivité = travail partout sur la planète : le champ du travail est devenu mondial.
Le travail hors du temps.
Mais non content de s’écouler en dehors de nos frontières, le voilà qui, même chez nous, se met à fuir de partout : l’INSEE a récemment révélé qu’un tiers seulement des salariés travaillaient à l’intérieur des horaires autrefois considérés comme « normaux », soit parce qu’ils en dépassent largement (les 35 heures, moi je les fait en 3 jours, ah ah ah, je suis trop fort !), soit parce que le peu d’heures travaillées par les salariés à temps partiels se font dans des horaires non-conventionnels (les femmes de ménage de nos immeubles de bureau n’ont que rarement le droit de travailler en même temps que nous, apparente évidence qui n’est que le fruit de notre productivité effrénée).
Autrement dit, le travail est sorti (en vingt ans, trente ans ?) de ses deux cadres de référence spatiaux et temporels. Et comme le dentifrice dans son tube, il ne semble pas disposé à y revenir de sitôt.
Le travail en miettes.
Dernière étape : le travail est aujourd’hui atomisé par la complexité croissante des biens et services produits et la spécialisation extrême des tâches. Combien faut-il d’intervenants pour concevoir un bâtiment ? Combien en faut-il pour concevoir un avion ? Et même concevoir le mix total d’un produit de grande consommation ? Plus sans doute aujourd’hui que pour le réaliser !
Conséquence, mon travail, en tant que tel, n’est plus qu’une fraction toujours plus petite d’un ensemble qui le dépasse tellement qu’il en rend invisible la part que j’y ai mise; jusqu'à la rendre parfois même indescriptible (impossible d'en expliquer le sens à autrui, ou à le voir soi-même) tellement elle est diluée.
Si bien que le travail, non content de s’être mondialisé et morcelé, s’est aussi dilué. De localisé et temporalisé, il est devenu, tout en se réduisant en nombre d’heures, paradoxalement omniprésent.
Quand on l’a longtemps imaginé comme une matière dure et finie, on pourrait aujourd’hui le caractériser comme un fluide, jamais tout à fait contenu et sans cesse mouvant.
A ce stade bien sûr, cause ou conséquence, cause et conséquence à la fois, entrent en jeu les outils de la technologie, qui permettent tout à la fois de s’adapter à cette fluidité et de la démultiplier. Inutile de chercher qui court devant l’autre, constatons-le simplement. Et voyons surtout les conséquences qu’ont toutes ces mutations sur le lieu du travail, dans la deuxième Partie de cet article.
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